Aylin Kalem
La séance de Shintaïdo sous la direction de Bernard Lépineau avait des points communs avec les ateliers de danse en général, comme par exemple les exercices d’entraînement du corps, mais en même temps, elle était différente en terme de contexte ‘rituel.’
Ce qui était le plus frappant pour moi, c’était que j’ai pu trouver des rapports à un cours de danse classique, des règles bien établies, des termes qui s’articulaient dans la langue originelle, des directives pour les participants, des exercices qui travaillaient sur le poids, la gravité, l’élan… Pourtant, même si les formes paraissent identiques dans le plan superficiel, le rituel se base sur une philosophie complètement différente.
Déjà, il s’agit d’un costume assez caractéristique, assez symbolique. Il est chargé d’une culture, d’une tradition, d’un contexte assez précis, qui impose tout de suite une ambiance. Cette ambiance est sans doute affectée par un certain regard occidental vers la manière de vivre et la mentalité des Asiatiques. Nous sommes dès le départ présentés à un contexte qui signifie déjà quelque chose pour chacun de nous.
Saluer l’endroit avant d’occuper une place dans la salle, saluer le partenaire au début et à la fin des exercices, travailler en cercle, font tous partie de ce rituel de Shintaïdo. Le rituel signifie quelque chose qui constitue un rite. Il y a une connotation religieuse. Il désigne un ensemble des cérémonies du culte en usage, des cérémonies réglées ou des gestes particuliers. En bref, c’est un ensemble de règles pour une certaine forme de croyance. L’acte de saluer peut être comparé à la révérence que l’on effectue au début et à la fin des cours de danse classique. Donc, respecter et estimer la pratique sont présents dans les deux cas. Cependant, dans le cours de danse classique, il s’agit d’une hiérarchie qui est liée à la société dans laquelle la danse classique a été conçue. Cet acte de saluer comprend donc les codes aristocratiques de l’époque en question. Tout de même, les élèves de danse classique font leur révérence au professeur et au pianiste. Ceci fait partie de la discipline d’un danseur classique. C’est une règle invariable. Cet acte est inséparable de l’éducation et de la philosophie tout autour de la danse classique. Egalement, dans une séance de Shintaïdo, respecter l’endroit, le vénérer et saluer les autres sont essentiels. Cette règle est aussi inséparable de la philosophie de cette pratique. Cependant, la forme est différente. Elle est orientale. On s’assoit à genoux et on baisse la tête vers le sol. Il y a aussi le fait qu’il n’y ait pas de distinction entre les participants, ce qui met la nature et le cosmos en avant. Donc, ces deux disciplines recouvrent des règles similaires mais dans des contextes différents.
La philosophie et l’esthétique de la danse classique, au départ, se basent sur une idéale d’atteindre le sublime, en allongeant le corps dans la pratique et aussi par la prothèse qui est celle des pointes. Ceci fait partie d’une croyance qui se situe en haut. Le corps aspire à une élévation spirituelle, à la légèreté, que l’on peut comparer à l’esthétique gothique dans l’architecture. Atteindre cette forme idéale est essentiel dans la danse classique. Alors que dans le Shintaïdo, le but est d’atteindre l’essentiel de soi, qui n’est pas différent d’atteindre le cosmos. Saisir le cosmos passe par la compréhension de soi selon la philosophie qui constitue le Shintaïdo. Donc, c’est une autre forme de croyance autour de laquelle se forment des règles similaires.
Donc, à première vue, ce qui m’est apparue comme un point de convergence entre la pratique de danse classique et celle de Shintaïdo est le fait de commencer et finir le cours en saluant. Par contre, des divergences demeurent dans la raison d’être et la destination de ces deux formes de salutation. Ces divergences sont bien sûr liées aux principes situés en amont de ces deux pratiques.
Un ensemble de règles à suivre paraît indispensable pour former un corps quel que soit ce qui se trouve en amont de ces règles. Michel Foucault parle des différents niveaux de discipline qui produisent des corps. Le Shintaïdo vise à équilibrer l’esprit à travers la pratique du corps. Cette approche me fait rappeler tout de suite de la phénoménologie de Merleau-Ponty qui met en évidence qu’on n’a pas un corps, mais plutôt, qu’on ‘est’ un corps. L’esprit donc est inséparable du corps puisque nous percevons le monde par le biais de notre corps. C’est à travers nos expériences corporelles, les sensations que nous éprouvons par le contact de notre corps que nous arrivons à interpréter le monde, à avoir une certaine vision du monde. Donc, que ce soit une religion, une quelconque forme de croyance, les principes d’une esthétique ou d’une vision politique, il semble qu’une force soutenue par un discours soit toujours présente et s’exerce sur la pratique corporelle visant à produire un corps.
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