Sunday, April 29, 2007

QUELQUES REFLEXIONS SUR L’ASPECT PERFORMATIF DES CORPS DE “FIN DE SIECLE”

Aylin Kalem

Dans cet essai je vais tenter d’analyser les thèmes liés au concept du corps de fin de siècle pendant le Bas-Moyen Age, à l’époque baroque et à celle du ‘Cyborg’. Bien que ces périodes diffèrent l’une de l’autre dans leurs caractéristiques générales, je vais me concentrer spécifiquement sur l’aspect performatif du corps pour chacune d’entre elles. Ce faisant, je vais naviguer autour des thèmes qui leur sont communs et de leurs traductions sur le corps en performance. Pour mettre en évidence les rapports existants, je vais me servir des représentations à la Cour de Bourgogne, des performances de Stelarc, ainsi que des écrits de Christine Buci-Gluksmann et de Bryan S. Turner sur le Baroque dans lesquels ces thèmes ont été abordés. Mon but est d’analyser ce à quoi le corps humain contemporain est confronté, en m’appuyant notamment sur les performances de Stelarc et en essayant de comparer le ‘cyborg’ avec d’autres formes de corps des époques passées qui me semblent partager des traits communs.

Qu’est-ce qui m’amène à travailler sur les correspondances entre les corps du bas-Moyen Age, du Baroque et du ‘Cyborg’ ? Rien que de l’intuition. Une intuition qui surgit d’un intérêt pour la transformation du corps, dit du ‘naturel’ à l’artificiel, dans le cadre d’une représentation ou d’une performance, qu’elle soit artistique ou non. La première mise en forme de cette intuition eut lieu autour de ma thèse de master sur la représentation du corps aristocratique au Bas-Moyen Age, plus spécifiquement à la Cour de Bourgogne et que j’ai effectuée dans le département d’histoire de l’Université Boğaziçi d’Istanbul. Au terme des mes études médiévales, il était inévitable que je reliasse toutes les données historiques au corps humain en raison de la formation de danse que j’avais suivi depuis mon enfance. Ce travail qui est parti d’une simple fascination pour le concept de génération d’un corps « étrange », m’a menée à une prise de conscience des causes et des effets d’un tel engendrement. En conséquence, cette thèse d’histoire s’est transformée en une analyse du corps artificiel et mon intérêt premier m’a finalement conduit à poursuivre des recherches sur la réalité virtuelle, faisant par là-même un saut du Bas-Moyen Age au temps des ‘cyborgs’. En effet, ce qui m’intéresse dans la réalité virtuelle c’est sa connexion à l’idée du ‘cyborg’, autrement dit, ce que la réalité virtuelle apporte au corps humain.

On dispose déjà de multiples types et entités de cyborg que l’on peut dénommer, tels que : mega-cyborgs, semi-cyborgs, multi-cyborgs, omni-cyborgs, neo-cyborg, proto-cyborg, ultra-cyborg, hyper-cyborg, retro-cyborg, meta-cyborg. (Gray, Mentor, Figueroa-Sarriera, “Cyborgology”, The Cyborg Handbook ed. par Chris Hables Gray. Routledge, 1995, p.14). Il est fascinant que ce terme qui a été créé en 1960 par Manfred E. Clynes et Nathan S. Kline, ne soit que récemment entré dans les ouvrages théoriques, et qu’il soit encore inconnu de la plus grande partie de la société, alors même qu’il possède déjà de multiples variantes, et qu’on est peut-être ou parfois déjà l’un d’entre eux sans avoir la moindre conscience de l’être. N. Katherine Hayles indique que les cyborgs sont déjà une réalité, et estime que 10 % de la population américaine sont des cyborgs au sens technique du terme. (N. Katherine Hayles, “ The Life Cycles of Cyborgs. Writing the Posthuman”, The Cyborg Handbook ed. par Chris Hables Gray. Routledge, 1995, p.322). On est dans une phase de l’humanité où on peut effectivement observer le processus d’une vraie métamorphose et ce pour la première fois au cours de l’histoire.

Curieusement, cette métamorphose a trouvé son expression dans la culture populaire, à travers les romans, les films de sciences fictions et plus récemment à travers les artistes d’installation et de ‘performance’. Pourtant, ce processus a débuté avec les recherches médicales qui ont permis des changements radicaux sur le corps, telles que le transfert d'organe, le changement de sexe, la chirurgie esthétique et les recherches sur le génome humain. Ce type de changement ne choque pas la majorité, qui s’y habitue et ne saisit pas les conséquences qu’il peut avoir. C’est ainsi que les artistes qui sont assez conscients de cette transformation et qui exposent leurs propres engendrements de cette nouvelle ‘espèce’ sont mal compris par ceux qui ne se rendent pas compte de cette métamorphose dans leur propre société, mais qui y participent d’une manière ou d’une autre ; pourtant, ces artistes incompris ont simplement pour but de montrer ce à quoi le corps contemporain est confronté.

Quelle est la nature de la métamorphose que le corps humain subit ? Katherine Hayles formule cette évolution par le terme de ‘posthumain’: « L'humain a mené au posthumain. Ce n’est pas que l’humanité se soit éteinte, mais que l'humain en tant que concept a été remplacé par son héritier évolutif. Les humains ne sont pas le terme de l’évolution. Au-delà d'eux pointe le cyborg, une espèce hybride issue du croisement de l'organisation biologique et du mécanisme cybernétique. Alors qu'il est possible de considérer l’humain comme un phénomène naturel, arrivant à maturité en tant qu’espèce à travers une sélection naturelle et des mutations génétiques spontanées, de telles illusions sont impossibles avec le cyborg. Dès le début celui-ci est une construction, un objet technobiologique qui confond la dichotomie entre naturel et artificiel, faite et soutenue. » (Hayles, p.321). Ainsi, le corps humain semble ne plus être soumis aux théories évolutives de Darwin, mais devenir plutôt maître d’une espèce créée par lui-même. De même que l’apparition d’une nouvelle espèce bouleverse toute la vision traditionnelle du corps humain, celle-ci s’applique aussi à tous les termes et attributs qui s’y rattachent. On éprouve la nécessité de créer un nouveau langage autour de cet engendrement, par lequel tout acquiert un nouveau sens, et fournit de nouveaux points de vue. Le domaine de la réalité virtuelle nous propose un sens double où les termes, considérés oppositionnels, commencent à se fondre l’un dans l’autre, comme par exemple, absence et présence, passé et futur. De ce fait, le mot ‘maître’ que je viens d’employer n’aura plus un sens absolu et induira constamment son opposé.

Comme le dit Hayles, le terme ‘cyborg’ propose déjà une collaboration et un déplacement simultanés du nouveau et de l’ancien. Cyb/org : organisme cybernétique. « Les récits de Cyborg peuvent être compris comme des histoires, par référence seulement aux récits du véritable cycle de la vie qui ne suffisent plus pour les expliquer. Les résultats sont des trames narratives qui se superposent au-dessus de l'arc de la vie humaine en une carte créée à partir de zones d'assemblage et de désassemblage. L’une des orientations référence l'humain, l’autre le posthumain; l’une est chronologique, l'autre est topologique; l’une suppose la croissance, l'autre présuppose la production; l’une se présente comme naturel ou normal, l'autre, comme artificielle ou aberrante. Puisque les deux fils s’entrelacent à chaque niveau, finalement, l'effet n'est pas tant une superposition qu’une interpénétration. Parfois, l'interpénétration est présentée comme l’invasion d'une créature étrangère dans l'individu, parfois comme une union symbiotique qui opère une nouvelle subjectivité. Quel qu’en soit le résultat, les récits admettent que l’articulation néologistique ne peut pas être rassemblée sans détruire l'org/anisme tronqué qui ne peut plus vivre sans son composant de cyb/ernetique. Comme ces récits l'indiquent, une page a été tournée, et il n'y a aucun retour possible. » (Hayles, p.323)

Dès qu’une nouvelle forme surgit et se surimpose comme une étrangeté aux conventions bien établies, un désordre et un déséquilibre se manifestent dans la culture. Dès lors survient la nécessité de se référer aux époques précédentes. Si on considère les époques où le corps a été confronté à des attributs artificiels on s’aperçoit que ce type de transformation a coïncidé avec une phase de l’histoire que Bryan S. Turner nomme fin de siècle. (Bryan S. Turner, “Recent Developments”, The Body. Social Process and Cultural Theory, ed. par Mike Featherstone, Mike Hepworth and Bryan S. Turner. Sage Publications, 1991, p.24). Le corps fin de siècle apparaît à des moments de crise et de rupture dans la continuité d’une culture, où la société doit faire face à un désordre, à une instabilité, sous forme de choc. Ceci produit une nouvelle perception qui s’inscrit et se manifeste sur le corps pour restaurer l’identité en perte. Hayles, dans le contexte de ‘cyborg’, soulève l’idée d’un conflit : « Quand les subjectivités ‘cyborg’ sont exprimées dans des récits culturels, les modes de compréhension traditionnels du cycle de la vie humaine entrent en conflit avec des modes de production discursifs et techniques orientés vers les valeurs d'assemblage et de désassemblage de la machine. Le conflit ne peut ni être réduit à l'humain ni à l’orientation de la machine, parce que le cyborg contient les deux en lui-même. Se tenant au seuil qui sépare l'humain du posthumain, le cyborg regarde le passé aussi bien que le futur. C'est précisément cette double nature qui permet aux histoires cyborg d'être imbriquées dans des récits culturels tout en les tordant dans une nouvelle direction. » (Hayles, p.322)

Le conflit qui apparaît présentement se produit de soi-même. Ce n’est pas une étrangeté qui s’érige sur l’ancien, mais une étrangeté qui naît de l’union du nouveau et de l’ancien. Bryan S. Turner, en parlant du modernisme et du postmodernisme, propose : « Notre âge est bloqué avec force et consciemment par sa modernité, sa sécularisation et son nihilisme. Peut-être que le conflit entre les modernistes et les post-modernistes devrait être précisément perçu dans le contexte de telles crises globales, à savoir qu’il n’est plus aussi clair que la dépendance à la rationalité humaine soit suffisante en principe pour répondre à ces crises globales, parce que précisément on se demande si les crises ne sont pas effectivement produites par la même rationalité instrumentale. » (Turner, p.24). Pareillement, il existe une crise dans le contexte du corps humain, toujours dans le milieu ‘sensible’ ou ‘conscient’, pour explorer la forme et la nature des nouveaux corps susceptibles de mutations. Mais, c’est une crise qui exige une réaction plutôt positive, puisque, comme le cite Hayles, « une page a été tournée, et il n'y a aucun retour possible. » C’est une exigence que l’on accueille, et dont l’urgence se transforme en une fascination d’être capable de se transformer soi-même.

Se référant à Christine Buci-Glucksmann qui a fait un parallèle entre le baroque et la modernité, Bryan S. Turner propose un autre parallèle entre le Baroque et la post-modernité. Il expose les raisons politiques et sociales d’une crise au Baroque, qui s’origine dans l’absolutisme. « La culture baroque a suivi la Réforme protestante pour tenter de gagner les cœurs et l’imagination du peuple à un bloc-pouvoir hiérarchique et autoritaire, qui a cherché à stabiliser l’Europe contre un effondrement total ou plus exactement pour défendre l’ancien ordre contre l’individualisme, le Protestantisme, le pouvoir commercial urbain, contre la notion que l’ordre social pourrait être basé sur un contrat social et contre la masse qui avait été créée par un afflux de paysans dans les villes européennes. » (Turner, p.27).

Prolongeant le parallélisme suggéré par Bryan S. Turner entre le baroque et le postmodernisme en référence aux travaux de Christine Buci-Glucksmann, j’avais proposé d’établir un autre parallélisme dans ma thèse de master entre le baroque et le Bas-Moyen Age. Néanmoins, j’étais consciente qu’une comparaison d’ensemble entre la culture du Bas-Moyen Age à la culture baroque était délicate, voire hardie. Les thèmes en question, ceux de la mélancolie, de la perte, du mythe-réalité, de la mort, de la décadence, des ruines, etc… sont caractéristiques de la culture baroque dans son ensemble, mais peuvent s’observer également dans le cadre précis et plus restreint de la Cour de Bourgogne au Bas-Moyen Age. Ces thèmes qui surgissent dans des périodes de crise et qui s’accompagnent d’une volonté de transformation corporelle, et d’une recherche d’illusion, d’extravagance, de kitsch, d’artificiel sont très clairement observés sur le corps performatif de l’aristocratie bourguignonne. Ces tendances peuvent avoir plusieurs origines. Premièrement, la représentation populaire et morbide du corps en dissection, pourri, déformé, vision omniprésente et inspirée notamment par les ravages de la Peste Noire et de la Guerre de Cent Ans, a pu conduire l’aristocratie bourguignonne à se créer un nouveau corps, spécifique à elle-même, abondant en emblèmes symboliques et historiques, extravagant, ornementé au point d’être kitsch. Mais tout en voulant modifier artificiellement sa silhouette, elle n’a pu effacer complètement les traces d’horreur et de déchéance, conduisant de ce fait à l’élaboration d’un corps ‘étrange’. Deuxièmement, les circonstances politiques ont exigé une trêve entre les petites principautés et la classe guerrière a délaissé les champs de bataille pour s’enfermer dans des châteaux et y mener une vie oisive. Le Duché de Bourgogne n’avait jamais cessé d’espérer une unification de tous les autres duchés et même du royaume de France sous son pouvoir, une expédition pour reconquérir Constantinople sur les Turcs et sauver la Terre Sainte, et de recréer l’Empire Romain d’Occident sous son nom. Ce faisant, elle a généré un nouveau corps de pouvoir politique, passant par la transformation de la noblesse guerrière en civilité courtoise, nourri par l’illusion et le mythe-réalité performatifs créés autour de l’Ordre de la Toison d’Or. Cet engendrement d’un nouveau corps, qui était le résultat de l’union de l’ancien et du nouveau, avec une forte conscience de l’existence d’une crise sur laquelle Bryan S. Turner a insisté.

Dans le contexte de ‘cyborg’, je vais essayer de mettre en relation les thèmes évoqués ci-dessus avec l’installation ‘performée’ de Stelarc. Tout d’abord, j’aimerais clarifier le terme ‘performance’ qui a un sens différent dans la langue quotidienne. David Tomas fait une distinction entre l’art d’installation, l’art de performance et l’installation ‘performée’. « L’art d’installation est une pratique qui émerge par un dialogue matérialisé entre un artiste et un environnement particulier de physique/symbolique. Cependant, l'installation ‘performée’ diffère des formes plus traditionnelles de pratique d'art d'installation dans son utilisation d'un corps humain vivant. Au contraire de l’utilisation active du corps humain dans l’art de performance et à son absence dans l’art d’installation conventionnelle basé sur un objet, l’installation ‘performée’ utilise un corps humain, mais restructure sa présence de façon à le réduire à l’état d’un simple composant dans une économie d’objet et d’environnement. Le corps humain est transformé dans ce cas en une entité inhabituelle puisque sa nouvelle position spatiale, sa spécificité de site ou le sens ‘installé’ de son état situé et objéifié, est le produit direct de cette économie. (David Tomas, “Art, Psychastenic Assimilation, and the Cybernetic Automaton”, The Cyborg Handbook ed. par Chris Hables Gray. Routledge, 1995, p.257).

Dans le cas de Stelarc, cet état objéifié se manifeste très clairement, plus précisément dans sa sculpture d’estomac. La sculpture d’estomac, construite pour la cinquième triennale australienne de sculpture à Melbourne, a été insérée à 40cm dans la cavité stomacale de l’artiste. Cette sculpture était un objet en métal qui s’ouvrait dans l’estomac et qui laissait apparaître une lumière clignotante rouge. Dans cette installation ‘performée’, le corps humain et la sculpture s’écartent de leur fonction conventionnelle. L’objet qui était traditionnellement exposé au musée ou dans une galerie d’art, se retrouve désormais exposé à l’intérieur d’un corps humain. Le corps humain, à son tour, change de nature. Le corps qu’on était habitué à voir en performance et en pleine subjectivité, devient tout simplement un lieu d’exposition. Le corps lui-même est réduit à un état d’objet. David Tomas souligne ainsi l’effacement du sujet : « Bien que le corps en tant qu’objet soit toujours métaboliquement vivant, il semble hiberner dans sa coquille de représentation comme pour camoufler sa subjectivité dans le sens de son état d’objet. » (Tomas, 1995, p.257)

Stelarc n’aborde pas cet état du corps objéifié de manière négative. « La peau ne signifie plus la fermeture. La rupture de la surface et de la peau signifie l'effacement d'intérieur et d'extérieur… L'individu devient situé au-delà de la peau. C'est en partie par cette extrusion que le corps devient vide. Mais cet évidement ne s’effectue pas par un manque mais par l'extrusion et l’extension de ses capacités, de ses nouvelles antennes sensorielles et de son fonctionnement de plus en plus à distance.... » (www.stelarc.va.com.au)

En conséquence, il ne s’agit pas seulement d’une perte, mais d’une absence et d’une présence simultanément, de telle sorte que la présence acquiert un nouveau sens et un nouvel espace. Le corps humain devient objet, mais en le devenant, il devient aussi plus sensible et plus transparent. Il ne s’agit plus d’une barrière qui sépare le corps de l’accès public.

Une autre installation ‘performée’ de Stelarc est celle d’Exoskeleton. Il s’agit d’une machine marchante à six jambes construite pour le corps. Le corps active la machine marchante en bougeant ses bras. Les bras du corps guide la chorégraphie du locomoteur. Dans l’une de ses performances, les bras étaient connectés par Internet à certains endroits du monde. Les mouvements des bras étaient manipulés par d’autres personnes qui le visionnaient sur Internet. Les mouvements des bras, à leur tour, généraient une mise en mouvement des jambes de la machine. Avec ce système de télé-opération, la présence humaine est donc projetée et ses actions physiques sont réalisées depuis des lieux éloignés.

De ce fait, il est évident qu’il s’agit d’une massification du corps humain. Dans le premier cas, l’estomac devient un lieu d’exposition ; dans le deuxième, les mouvements du corps sont générés à distance par les autres. Christine Buci-Glucksmann indique qu’il s’agit d’une massification du corps à l’âge moderne, dans une forme de prostitution. « La masse est un des arcanes qui ne se sont ouverts à la prostitution qu’avec la grande ville. La prostitution donne la possibilité d’une communion mythique avec la masse(…) La femme est devenue avec la prostitution des grandes villes un article de masse : (Christine Buci-Gluksmann, La raison baroque de Baudelaire à Benjamin. Paris: Editions Galilée, 1984, p.85). Ces deux performances de Stelarc réalisent une communion avec le monde entier, la sculpture d’estomac, en effaçant la limite de la peau ; l’Exoskeleton, par l’intermédiaire de l’Internet.

Si on revient à l’idée de représentation évoquée par David Tomas, « une représentation de camouflage de la subjectivité », il me semble qu’il est possible de faire une comparaison avec la pensée baroque et aussi avec l’image à la Cour de Bourgogne, sauf que cette fois-ci l’artifice est la technologie. N’est-il pas possible de citer la technologie, dans le sens d’une crise, comme on citait la marchandise dans le cas du moderne ? D’ailleurs, Christine Buci-Glucksmann écrit à ce propos : « Avoir le cadavre en soi-même, seule nouveauté radicale et inquiétante qui défait les certitudes acquises du ‘sujet’, c’est aussi se faire violence à soi-même, devenir victime et bourreau, voyeur et vu. » (Buci-Glucksmann, p.80)

Une autre ressemblance, à mon avis, est celle de la perte, de l’absence (/présence) dont Christine Buci-Glucksmann parle à propos de Baudelaire : « Vouloir tout voir avec cet œil sécurisant du citadin, du flâneur en proie à la prolifération démultipliée des images, c’est se condamner à ne rien voir. Les yeux de Baudelaire ne peuvent plus appréhender l’aura de l’œuvre, son ici-et-maintenant profond, les yeux de Baudelaire ne voient rien. » (Buci-Glucksmann, p.77) : Elle continue en citant Benjamin : « Ce qu’on attend d’un regard humain jamais on ne le rencontre chez Baudelaire. Il décrit des yeux qui ont perdu pour ainsi dire le pouvoir de regarder. » (Benjamin, W., Poésie et Révolution, Lettres Nouvelles, p.270). Stelarc, effectivement, perd son corps pour montrer son corps. Cependant, son corps ne se perd pas dans l’absence, mais trouve une autre présence, qui est projetée, comme un voyeur-vu. « Yeux trop englués dans le visible proche, dans les objets fétiches, dans la grande fantasmagorie des magasins, des expositions universelles, de la foule, yeux sans regard à l’affût d’un toujours nouveau qui est aussi un faux-semblant, un toujours le même. Ce regard-non-regard scelle un tournant : la fin des héroïsmes d’antan et l’apparition d’un « héroïsme moderne » face au monde. Commentant Baudelaire, Benjamin ajoute : Le héros moderne n’est pas un héros : il est interprète des héros. » (Buci-Gluksmann, p.77). On peut justement dire, en parlant de Stelarc, que le corps n’est plus un corps, il est un interprète des corps, incontestablement dans la performance d’Exoskeleton, en une forme de fétichisme de la ‘technologie’.

Ne peut-on pas même parler d’un dandy cyborg ? Stelarc, en parlant de sa sculpture d’estomac souligne : « La technologie envahit et fonctionne dans le corps non pas comme un remplacement prothétique mais comme un ornement esthétique. » (Stelarc, “Vers le post-humain : du corps esprit au système cybernétique”, Danse et Nouvelles Technologies. Nouvelle de Danse 40/41. Automne-Hiver 1999, p.89). Ne s’agit-il pas d’un kitsch, d’un excès, d’une flânerie, d’une vanité que l’on peut attribuer à un dandy ? Comme le précise Rémy G. Saisselin : « Le dandy dépasse le naturel pour atteindre l’état d’œuvre d’art. » (Rémy G. Saisselin, “De l’honnête homme au dandy – ou d’une esthétique de l’imitation à une esthétique de l’expression” dans L’honnête homme et le dandy, édité par Alain Montandon. Tübingen: Narr, 1993, p.16). En plus, son corps performatif est le produit d’une profonde conscience de ce à quoi le corps contemporain est confronté. A mon avis, quand le projet de l’implantation d’une troisième oreille se réalisera, son allure de dandy va se compléter, et ceci ne sera pas très différent du tournesol qu’Oscar Wilde arborait, sauf qu’aujourd’hui, on a les moyens de se transformer et de se créer ‘autre’, d’une façon plus ‘radicale’.












BIBLIOGRAPHIE

BUCI-GLUCKSMANN, Christine, La raison baroque de Baudelaire à Benjamin. Paris: Editions Galilée, 1984

GRAY, MENTOR, FIGUEROA-SARRIERA, “Cyborgology”, The Cyborg Handbook ed. par Chris Hables Gray. Routledge, 1995

HAYLES, N. Katherine, “ The Life Cycles of Cyborgs. Writing the Posthuman”, The Cyborg Handbook ed. par Chris Hables Gray. Routledge, 1995

MONEYRON, Frédéric, “Le dandy fin de siècle”, L’honnête homme et le dandy, édité par Alain Montandon. Tübingen: Narr, 1993

SAISSELIN, Rémy G., “De l’honnête homme au dandy – ou d’une esthétique de l’imitation à une esthétique de l’expression”, L’honnête homme et le dandy, édité par Alain Montandon. Tübingen: Narr, 1993

STELARC, “Vers le post-humain : du corps esprit au système cybernétique”, Danse et Nouvelles Technologies. Nouvelle de Danse 40/41. Automne-Hiver 1999

STELARC, www.stelarc.va.com.au

STELARC, Rencontre avec Stelarc, ISEA 2000. CND, Décembre, 2000

TOMAS, David, “Art, Psychastenic Assimilation, and the Cybernetic Automaton”, The Cyborg Handbook ed. par Chris Hables Gray. Routledge, 1995

TURNER, Bryan S. “Recent Developments”, The Body. Social Process and Cultural Theory, ed. par Mike Featherstone, Mike Hepworth and Bryan S. Turner. Sage Publications, 1991

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